Les rêves perdus
Les complaintes de l'exilé: complainte 7, les rêves perdus
Je suis sur une île sans bateau ni pirogue
Je dois en mon temps refaire les routes
Je dois te reconstruire ô mon pays
Condamné à ne pas jouir de tes fruits
Je refuse que mes enfants subissent le même sort
Je voudrais qu’ils aient le courage de rêver
Je voudrais que leurs rêves se réalisent
Je refuse pour eux ce que tu m’as réservé
Je refuse pour eux ce que tu m’as donné
Je veux que la fleur de chez moi leur offre son parfum
Que la mer leur donne ses vagues
Que la terre ouvre ses portes et laissent de meilleurs fruits
Je veux que le vent leur soit doux
Que la justice soit leur règle de vie
Je veux que le racisme perde la face
Je veux qu’un avenir meilleur soit forgé
Je veux qu’à mon âge ils aient réussi
Que chacun se réjouisse dans son labeur
J’ai fui une terre qui ne me voulait plus
Mais je veux que mes enfants y passent leur vie
J’ai fui une patrie qui me voyait comme ennemi
Or je veux que mes fils y vivent en amis
J’ai quitté la bonne odeur des arbres
J’ai laissé derrière moi le chant mélodieux des oiseaux
J’ai abandonné les sifflements des feuilles vertes
Et le concert ininterrompu des forêts à l’aurore
Je suis parti loin des hommes intègres
Loin de la pudeur d’une foi puérile
Loin de mes croyances ancestrales
Loin des cranes de mes ancêtres
Que je conservais dans un lieu sacré
Je suis allé loin d’un pays qui a volé mes rêves
Loin d’un pays qui a volé ma jeunesse
Loin d’un pays qui ne veut que ma mort
Je suis allé loin de cette terre que le sang de mes pères a bâtie
Mais mon âme reste prisonnière de cette contrée que j’affectionne.
Comment oublier l’eau douce qui me chuchotait à l’oreille
Les aphorismes de mes aïeuls
Comment oublier l’herbe indolente
Qui ne refusait point mes pieds nus
Et restituait à ma mémoire les traditions d’autrefois
Comment oublier l’air aujourd’hui corrompu
Qui transportait depuis l’antiquité sur ses ailles de zéphyr
Les sagesses séculaires que soufflèrent nos pères
Comment oublier les chants de tes tam-tams et de tes balafons
Qui rythmaient les mythes et les légendes de notre maison
Je suis parti mais je suis là
Je suis là en tant que témoin
Je suis là avec les yeux rivés sur toi
Je suis parti pour ton bien et mon bien
Je suis parti pour nos fils et nos filles
Je suis parti pour nos descendants
Je suis parti mais je reviendrais
Je reviendrais quand l’air sera moins lourd pour moi
Je reviendrais pour toi mon pays que j’aime tant…