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"Les chercheurs d'avenir" à paraître...

Publié le par Peguy Takou Ndie, Ecrivain

Je suis dans la chambre qu'ils m'ont donnée. Une turne que je partage avec quatre autres personnes et dans laquelle, depuis longtemps, j'attends. Pour le demandeur que je suis, tout peut arriver à tout moment, à l'improviste. Rien ne peut me garantir que la journée ou la semaine qui naît dans une gaieté frêle et tremblante, comme un fruit mûr secoué par le vent, s'achèvera dans la joie. En effet, je peux être dans une félicité sans bornes le matin et le soir, me retrouver dans les larmes et dans le deuil. Mes humeurs changent comme le temps à la fin de l'hiver, au gré du hasard que les mains des agents du bureau fédéral pétrissent. Je suis assigné à résidence dans un lager parce que selon la loi qui régit les demandes d'asile dans ce pays, le risque de fuir une éventuelle déportation est élevé ; trop élevé pour eux. Tous ceux qui habitent le Heim vivent ainsi dans l'appréhension d'une mauvaise lettre. Il peut s'agir d'une missive qui donne la réponse définitive à une demande d'asile ou de rien qui vaille vraiment la peine de s'inquiéter. En ce qui me concerne, je vis tous les jours dans la peur, je reste dans l'expectative, dans l'attente de ce que dira la main qui choisira et étudiera mon dossier. Pour moi rien n'est définitif, tout est en suspens, tout est au ralenti, tout est probable. Telle est ma vie dans le foyer, telle est la vie des demandeurs d'asile dans le Heim, telle est notre situation, c'est une existence sur laquelle un inconnu a depuis longtemps appuyé sur le bouton pause. Personne ne sait quand il s'en souviendra.

Je suis le prototype même de ces hommes en attente du moment où l'on leur dira de foutre le camp. Il m'a été dit plusieurs fois que l'Allemagne n'accorde pas l'asile. Qu'elle s'appuie sur des préjugés injustifiés, sur le règlement Dublin et le fameux principe selon lequel tout migrant doit demander l'asile dans le premier pays par lequel il est entré dans l'espace Schengen. Or, dans ces conditions, l'Espagne, l'Italie, la Grèce et d'autres pays limitrophes de l'Union européenne qui subissent plus que tous les autres les assauts des migrants se chargeront seuls de tous les individus qui ont traversé la Méditerranée et les frontières de l'UE. Pour qu'un pays comme l'Allemagne alors caché derrière un mur de pays, (j'ignore ce qu'elle a avec les murs), s'occupe d'une demande d'asile, sans perdre le temps dans les labyrinthes bureaucratiques interétatiques, il faut que l'individu parvienne dans ce pays directement par voie aérienne et ceci n'est pas aisé. Moi, je suis arrivé ici dans d'atroces souffrances, j'en ai encore des frissons. Durant mon odyssée, douloureuse et amère, j'ai laissé des empreintes digitales dans tellement de pays. Elles sont certainement enregistrées sur Eurodac1 ou sur tout autre base de données criminelles. Comme plusieurs migrants, j'étais déjà condamné à être déporté avant même d'arriver ici, selon des lois froides et glaciales, votées contre « le chercheur » d'un autre genre que je suis. Aujourd'hui, il semblerait que mon destin s'accomplit. Ceux qui m'entouraient avaient à maintes reprises prédit les faits, ils savaient que tout n’était qu'une question de temps. Je me demande si j'ai eu du temps. Si oui, comment l'ai-je utilisé ? Pour entendre mon cœur frissonner d'effroi comme un filet d'acier tremblant sur l'enclume ? Pour fuir la police qui m'apeurait ? Comment ? Je ne me rappelle que de la peur, du stress, des larmes.

 

Je suis assis sur ce qui me sert de lit et je tiens dans ma main la décision finale. Non, en fait, je tiens l'ultimatum qui me demande de quitter le territoire, mais où aller ? Où dois-je partir ? Dois-je retourner dans une contrée où j'ai souffert tous les jours de ma vie ? Depuis que j'ai reçu le rejet de ma demande d'asile, je n'ai pas cessé de me battre, de lutter et de chercher les moyens de demeurer ici. Mais il n'y a semble-t-il rien à faire. Des amis m'ont dit que si je fuyais, je devrais attendre plus de 18 mois (si la loi déjà si instable ici ne change pas une fois de plus), pour pouvoir introduire une nouvelle demande d'asile. Attendre des mois ! Pourrais-je survivre durant ce temps qui viendra grossir les années déjà perdues à ne rien faire ? Comment m'en sortirais-je sans travail, sans argent et sans nourriture ? Et si jamais j'acceptais de partir ? Que pourrais-je faire dans un pays où j'ai été traumatisé. Non, je ne veux pas rentrer, je ne peux pas retourner.

 

Je me sens pourtant si jeune, hélas il m'est impossible de jouir de la vie comme ces jeunes que je rencontre ici. Ils sont si insouciants, toute la journée, ils s'escriment à obtenir des bâtons de cigarette pour fumer comme leurs aînés. Ils élaborent des techniques pour soustraire aux yeux des adultes des bouteilles d'alcool et se retrouvent dans un jardin ou un parc public pour savourer leur dernière trouvaille. Moi, au contraire, je masturbe sans relâche mon esprit obtus afin de trouver la solution pour demeurer sur cette terre où l'on me rejette parce que je suis étranger. Tandis qu'ils boivent et fument, moi, je me demande tous les jours où vivre et comment ? Pendant qu'ils jouent, moi, je pense. Pendant qu'ils rient, moi, je pleure. Pendant qu'ils mangent, moi, je vomis, jusqu'à mes entrailles, glaciales, vides, sèches. Leur avenir est assuré alors que le mien est encore si obscur, si nuageux et sombre comme une piste nonchalamment tracée par les pas nus et réguliers de mes frères qui peuplent depuis mille générations ma lointaine forêt tropicale. Pendant qu'ils s'allongent sur l'herbe et appellent de leurs vœux le soleil, moi, je suis condamné à le fuir comme les milliards de feuilles vertes, pâles, mortes dans une forêt cachée qui ombragent la biocénose qui s'y développe. Voici, je me lève pour risquer un coup d’œil par la fenêtre et j'aperçois les voitures de police qui barrent l'entrée du Heim, que viennent faire les flics ici ? Sont-ils là pour moi ? Le moment est-il venu pour le condamné que je suis ?

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