Les complaintes de l'exilé
Complainte 4: à toi ma patrie
Je t’ai donné ma voix, celle qui cri la détresse des autres
Je t’ai donné ma voix qui dit ce que tu ne vois pas
Qui hurle à tes oreilles que les choses vont mal
Que les plantes n’ont plus ni eau ni sève
Je t’ai donné ma voix pour que tu fasses de moi ton prophète
Ton porte-parole, ton oracle
Hélas tu m’as rejeté or je t’aime
Tu m’as refoulé dans un coin perdu
Où j’étais condamné à vivre sans lendemain
Où j’étais condamné à vivre de mes rêves irréalisables
Je t’ai donné mon cerveau moulé sur les rides de tes vestiges
Les vestiges de tes civilisations aujourd’hui inconnues de tes fils
Les vestiges de tes histoires qu’ils ignorent tous
Les vestiges de tes batailles à jamais égarées.
Je t’ai donné mon intelligence forgée sur les vagues de tes fleuves
Je t’ai accordé ma sagesse construite au cœur même de ta forêt vierge
Ressassé depuis mille générations
Je t’ai laissé mes empruntes sculptées sur les pierres de tes volcans
Je t’ai montré mon sang aussi rouge que celui de tes martyrs
Qui coule comme tes rivières
Vers les mers salées où l’avenir existe encore
Je t’ai rappelé le sang de Martin Paul Samba
Je t’ai rappelé le sang de Douala Manga Bell
J’ai fait venir à ta mémoire celui de Ruben Um Nyobé
Ernest Ouandié, Felix-Roland Moumié et ses compagnons
Je t’ai rappelé ce passé que tu as foulé
Je t’ai laissé mon passé jadis enrichi par des journées sans pain
Je t’ai laissé mes souvenirs jardinés des efforts sans lendemains
Je t’ai laissé mes réussites déboisées comme ta forêt dense
Je t’ai laissé mes échecs pour que tu remplisses tes gouffres
Pour que tu satisfasses ta voracité de mes douleurs
Pour que tu t’abreuves de mes peurs et de mes larmes
Je t’ai abandonné la foi et les croyances qui me sont étrangères
Je t’ai abandonné mes requêtes et mes suppliques
Regarde dans ce tiroir où tu gardes ma détresse
Et tu verras des montagnes de prière que je formule à tous les noms...